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Récit objectiviste
« Le 15 février 2011, à Benghazi, deuxième ville de Libye, l’arrestation d’un militant des droits de l’homme provoque des émeutes et lance le début d’une guerre civile qui durera huit mois. On énonce les faits : on se fie aux phrases, on ne compte pas sur les mots. » En agent de liaison et dans la mouvance des poètes objectivistes américains, Frank Smith poursuit ses investigations poétiques commencées avec Guantanamo (Seuil, 2010). Entre une ouverture et une fermeture de texte en italique (forme de plongée dans la situation), 35 poèmes numérotés se succèdent comme autant de cas de figure d’un conflit rapporté anonymement par voie de presse. L’auteur développe une écriture à la fois critique, poétique et politique de documentaire journalistique où le « on » désincarne pêle-mêle les points de vue des différents protagonistes et englobe le narrateur comme le lecteur. La notion d’information se retrouve ici fortement mise en question : « Mais où en est-on vraiment ? ».
On tient un discours halluciné par téléphone / On prétend que les manifestants prennent de la drogue distribuée par des agents de l’étranger / On martèle / On exhorte / On jure de réprimer les protestataires dans le sang /
On est de plus en plus isolé / On est confronté à une région qui échappe à tout contrôle / On accuse Al-Qaïda de se dissimuler derrière le soulèvement populaire / On appuie fortement sur l’idée d’une manipulation /
On tente de convaincre le peuple / On peut augmenter les salaires, dit-on, mais on n’a pas le pouvoir de faire des lois ou de faire appliquer la loi /
On se protège d’un gilet pare-balles dissimulé sous les vêtements /
Fabienne Swiatly dans Remue.net a écrit:Les faits parlent d'eux-même. Encore faut-il que la poésie les y aide. Frank Smith démontre la possibilité, et l'urgence de cette tâche.
Alexandre Plank dans France Culture a écrit:Qui parle ?
Qui décide de quoi ?
De quel côté puis-je me tenir comme lecteur : Libye. Je connais son ancien dictateur. J’ai suivi les infos sur la guerre civile. J’ai vu des images. J’ai ingurgité. Mais saurais-je seulement citer un auteur libyen ?Le livre nous renvoie à toute cette masse d’informations et c’est violent.
Violent de se dire que l’on ne comprend pas grand chose de plus à ce qui a été vécu par ce pays, par ses habitants.
C’est dérangeant et c’est ce que nous demandons à la littérature : de nous déranger, de nous obliger à quitter les zones de confort.
Jean-Philippe Cazier dans Médiapart a écrit:Le 15 février 2011, à Benghazi, deuxième ville de Libye, l'arrestation d'un militant des droits de l'homme provoque des émeutes et lance le début d'une guerre civile.
On énonce ici des faits majeurs survenus pendant huit mois de conflits, jusqu'au 11 octobre 2011, où les combattants du Conseil national de transition libyen mettent fin à la résistance, à Syrte, et où Mouammar Kadhafi meurt des suites de ses blessures après des frappes aériennes de l'Otan sur son convoi qui tentait de fuir la ville.
On expose ce qui a eu lieu : on se fie aux phrases, on ne compte pas sur les mots.
La poésie de Frank Smith trouble ce rapport entre le monde et le langage, moins pour rejeter ce rapport que pour le multiplier et par là multiplier les points de vue, le sens, pluraliser le monde pour le rendre à son hétérogénéité – mettant en échec le langage du pouvoir qui fonctionne en imposant un point de vue, un cadre unifiant et homogénéisant par lequel le monde exclut la pluralité des possibles qui pourtant l’habitent, exclut la question de la communauté au profit d’une unique réponse, celle de l’identité.